Portrait de femme rousse vue de profil
« Comment a-t-elle appris à peindre ? A-t-elle-même appris à peindre ? Tout ce que fit le génie de l’art Italien semble s’être quintessencié en elle, naturellement, par un fait d’atavisme et d’origine, comme un grain précieux que le vent avait emporté, et qui germe, mûri par d’invisibles soleils. Corrège et Titien et Véronèse revivent en elle, et c’est sans doute d’un caprice de ces grandes ombres qu’est sortie cette lumineuse fleur. »
Armand Silvestre
Romancier et Critique
Juana Romani, Figures contemporaines, Album Mariani, vol.2, 1896.
Arrivée en France à l’âge de dix ans avec sa mère, échappant à la dureté de leur condition modeste de paysannes italiennes, Juana Romani intègre très rapidement l’univers des ateliers parisiens. Dès 1882, elle débute une activité de modèle professionnelle, et pose pour les plus grands maîtres de cette époque, Alexandre Falguière, dont elle prête ses traits à sa Nymphe Chasseresse, Antonin Mercié, Jean-Jacques Henner, Carolus-Duran, Victor Prouvé, ou encore Benjamin Constant. Volontaire et indépendante, la jeune femme séduit ; ces maîtres retrouvent en elle la grâce et l’expressivité presque sauvage d’un visage et d’un corps juvénile qui incarne une forme de quintessence italienne.
Au début des années 1880, elle fait la rencontre de Ferdinand Roybet, qui choisit à son tour la jeune femme comme modèle pour son tableau Diane poursuivant de sa fureur le jeune actéon transformé en cerf. C’est dans l’atelier de ce dernier que la jeune Juana Romani s’initie à la peinture. Travailleuse assidue, elle étudie dans les musées, découvre une passion pour les maîtres anciens tels Velázquez, Corrège ou Rembrandt, et rêve déjà d’un futur où elle exposerait à son tour sur les cimaises du Salon. Ce sera chose faite, puisqu’en 1888, elle abandonne sa carrière de modèle pour se concentrer exclusivement à sa peinture, et présente au Salon une première figure de Gitana très remarquée, ce qui lui rapporte ses premières médailles, à un âge où peu d’artistes sont admis à exposer.
« Chez elle, la femme n’abdique pas l’artiste ; au contraire, son art serait plutôt fait d’un féminisme exagéré. La Fontaine s’est bien demandé ce que peindraient les lions, s’ils savaient peindre. Eh bien, j’imagine que si les grandes charmeresses Dalila, Judith, Lucrèce avaient su peindre, elles auraient tracé ces figures à la fois délicieuses et farouches dont nous a charmé avec quelque effroi en nous, Juana Romani, et dans lesquelles il m’a toujours semblé qu’il y avait beaucoup d’elle-même. »
Sa carrière, aussi brillante que fulgurante, est alors lancée. Le succès au Salon de ces figures féminines, sensuelles et fortes, dont notre tableau est un merveilleux exemple, permettent à Juana Romani de se constituer une clientèle, elle devient alors l’un des portraitistes incontournables de la Belle Époque. Avec son maître et amant Ferdinand Roybet, Romani partage tout, ils voyagent ensemble en Italie, en Espagne, fréquentes les mêmes cercles d’amis, d’artistes, de critiques, de poètes, et partagent même leurs commanditaires. Cet intense succès ne dure qu’une quinzaine d’année, puisqu’en 1905, à l’instar de Camille Claudel, elle manifeste les premiers signes de troubles psychiatriques, et se retrouve internée, ce qui signe l’arrêt brutal de sa carrière, elle décède une vingtaine d’année plus tard.
« Chez elle, la fécondité est la caractéristique du talent. Elle produit comme fleurissent les fleurs, comme murissent les fruits, en vertu d’un don divin et de la flamme intérieure que le soleil natal a laissé en elle, tenant une place virile, pour ainsi parler dans le petit groupe des femmes peintres, supérieure à toutes par le charme, égales aux maîtres par l’autorité, étonnante avant tout, admirable de tous points surtout pour ceux aiment l’art.
A.Silvestre
Présente dans les collections du Musée d’Orsay, du Philadelphia Museum of Art, ou encore du Musée des Beaux-Arts de Buenos Aires, il faut attendre 2021, à l’initiative du Musée Roybet, pour voir la première grande rétrospective de son œuvre, contribuant, presque cent ans après sa disparition, à rendre à Juana Romani sa place légitime et incontournable dans le corpus des femmes peintres de la fin du XIXe siècle.