Ondine
Peintre, céramiste, sculpteur, Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953) est l’un des artistes les plus intéressants de la scène parisienne de la fin du siècle. Son art présente un caractère intimiste extrêmement raffiné, cultivé dans ses références et brillant dans sa technique.
Lorsque le milieu artistique parisien découvre son immense talent en 1896 grâce à une exposition personnelle organisée dans la prestigieuse galerie Georges Petit, Lévy-Dhurmer est pratiquement un inconnu. Depuis 1887, il s’est installé dans le sud de la France, à Golfe-Juan, où il a rejoint la fabrique de céramiques de Clément Massier, tout en développant un style et une technique personnels. L’exposition de 1896 est un véritable succès et révèle l’œuvre d’un artiste symboliste extrêmement raffiné, capable de combiner les références cultivées de l’art italien (notamment de Léonard de Vinci) avec la sensibilité décadente qui caractérise l’art français de la fin du siècle. Grace à cette exposition Lévy-Dhurmer commence à fréquenter les milieux symbolistes de la capitale, parmi lesquels l’écrivain excentrique Joséphin Péladan (1858-1918), Gustave Moreau (1826-1898), Claude Debussy (1862-1918), pour n’en citer que quelques-uns.
C’est dans le contexte de ces connaissances que notre pastel doit être contextualisé, grâce à la dédicace en bas à droite nous déduisons que l’œuvre a été offerte par Lévy-Dhurmer à Henri Cazalis (1840-1909), médecin et poète symboliste lié au mouvement poétique des Parnassiens. Le titre « Ondine » permet de reconnaître dans le visage de cette figure un génie féminin des fleuves de la mythologie germanique. Les ondines sont comme des sirènes d’eau douce qui peuplent les lacs, les rivières, les fleuves, créatures chères aux poètes et artistes symbolistes qui trouvaient en elles le pendant des baigneuses, idéalisées et purifiées de la trivialité du monde. L’artiste fait émerger ce visage des profondeurs d’un étang tandis qu’au premier plan des filets d’eau verdâtres s’écoulent avec rapidité et désordre. L’élégante beauté de cette œuvre réunit tous les éléments qui caractérisent le travail de Lévy-Dhurmer, du sujet féminin interprété de manière allégorique, à la référence cultivée à l’art de Léonard de Vinci que nous voyons dans les traits séraphiques du visage de la femme, dans le sfumato de la technique, à l’atmosphère de suspension et de rêve.
Cette union parfaite entre la figure humaine et la nature (dans ce cas, l’élément eau) se retrouve également dans d’autres chefs-d’œuvre de l’artiste conservés au Musée d’Orsay tel que Le Silence (fig.1) un autre dessin au pastel où Lévy-Dhurmer arrive à créer de subtils jeux de lumière et de couleur qui font de lui l’un des virtuoses de cette technique. En 1900, Lévy-Dhurmer change de cap et abandonne progressivement ses sujets mystiques de ses débuts et il entame une phase de sa production partagée par d’autres artistes comme Hawkins et Cottet où, pour reprendre une expression de Bouyer, il se situe « contre le mysticisme qui délire et l’impressionnisme qui divague ». Il commence à produire des paysages et des portraits, souvenirs de ses voyages en Europe et en Afrique du Nord jusqu’en 1953, année de sa mort.