Coupe par Dalpayrat (1844-1910)
De forme oblongue, notre élégante coupe est dotée de deux fines anses. L’ensemble est décoré du célèbre émail mis au point par Dalpayrat : rouge sang de bœuf, coulures vertes, bleues et ocres.
Si la première révélation de l’art japonais auprès des artistes parisiens fut l’estampe, la céramique reste sans conteste l’autre enthousiasme français le plus fécond, notamment pour Dalpayrat. Les collections parisiennes qu’il a pu visiter ne présentaient pas seulement des pots, mais aussi des masques, comme celui que le musée de Sèvres présente dès 1876. En 1878, là encore pour l’exposition universelle l’engouement du japonisme se révèle, notamment pour des pièces de cérémonies du thé en grès, qui confortent Pierre-Adrien Dalpayrat à créer des pièces aux formes végétales et animales. Dès les années 1890 les céramistes et les verriers créent un style nouveau, en rupture avec le passé. Les céramiques adoptent des lignes organiques et asymétriques. Les accidents de cuisson, les effets de flammes et les coulures d’émail forment des décors abstraits qui révolutionnent les arts du feu
C’est aussi à cette époque que Dalpayrat abandonne l’appellation de « peintre sur porcelaine » et commence à se définir comme « céramiste » ou « artiste-céramiste ». Il se consacre principalement au grès, un matériau vénéré non seulement pour ses associations japonaises, mais aussi pour son association avec les ustensiles traditionnels français. Son intérêt soudain pour ce matériau pourrait bien avoir été inspiré par les succès très médiatisés d’Ernest Chaplet et d’Auguste Delaherche à l’Exposition universelle de Paris de 1889.
Avec son corps oblongue et l’élégante simplicité de sa forme, notre vase rappelle les formes traditionnelles de l’artisanat français. Mais c’est surtout le travail de coloriste de l’émail qui est à souligner ici. L’émail rouge sang de boeuf est l’une des signatures de Pierre-Adrien Dalpayrat, à tel point qu’on le nomme souvent « rouge Dalpayrat ». Le céramiste, que son travail à la frontière de l’art nouveau et de ceux d’Extrême-Orient a rendu célèbre, pouvait se vanter d’avoir percé le mystère de cette fascinante couleur, maîtrisée depuis des siècles par les Chinois. Il réussit en effet à obtenir cette teinte et ces effets flammés sur un grès pourtant très résistant, grâce à l’oxydation du cuivre ainsi qu’à une maîtrise parfaite de l’atmosphère et de la durée de cuisson. Au-delà du rouge apparaissent des nuances de vert, turquoise, brun-doré, qui offrent de la profondeur à la pièce. Cette invention sera plusieurs fois saluée, notamment aux Expositions universelles et au Salon de la Société nationale des beaux-arts, mais aussi à la galerie Georges Petit.
La production de grès artistiques, adulés par la critique, atteint son apogée à la fin des années 1890. Le critique d’art Louis de Fourcaud loue la beauté des œuvres exposées au Salon chaque année dans la Revue des arts décoratifs :
« M. Dalpayrat et Mme Lesbros ont exposé ensemble des pots, des vases, des cruches où de beaux bleus et de beaux violets forment, avec un rouge de rare intensité, comme les effilés d’inégales franges ou comme des jaspures où les vives couleurs se sont mutuellement et splendidement éclaboussées ! »
L’importante collection de Peter Marino conserve deux coupes très proches de la nôtre, dont l’une portant le même numéro de modèle « 229 ».