Encrier à la grenouille par Dalpayrat (1844-1910)
Rare témoignage de la collaboration entre Dalpayrat et son premier associé, Alphonse Voisin-Delacroix, notre encrier à la grenouille s’inscrit dans le courant symboliste de l’époque. Débutée en 1892, l’association entre le céramiste et le sculpteur marque le point de départ de la grande carrière de Dalpayrat. Les premiers mois de l’année 1892 sont consacrés à la mise au point des procédés de fabrication, et en particulier des couvertes flammées rouge sang-de-bœuf, vert ou ivoire, qui feront la renommée du céramiste. Voisin-Delacroix conçoit les formes, les plus basiques comme les plus sculpturales, à l’instar de notre encrier.
Adrien Dalpayrat semble rapidement maîtriser ses procédés techniques et doit être particulièrement satisfait des formes qu’il exécute pour qu’il écrive à son associé dans le courant de l’été 1892 : « Nous nous complétons d’une façon rare. » Forts de ces premiers résultats, les associés décident d’exposer à la Galerie Georges Petit au mois de décembre 1892 avec leur ami et peintre Chudant. Environ cinquante objets sont exposés dans la même salle que les peintures orientalistes de Chudant, « précieusement étalés sur des meubles d’art ou bien enfermés dans de vitrines décorées et sculptées par MM. Damon et Colin ». La variété des objets exposés témoigne déjà du large éventail de leur production, et le succès est au rendez-vous, largement relayé par la presse de l’époque.
Les créations des associés sont ainsi à apprécier moins comme des objets usuels (vases, pichets, plats…) que comme de pures expressions artistiques colorées, des harmonies de couleurs que le feu a fait surgir sur la matière céramique. À l’instar des peintres et sculpteurs symbolistes, Dalpayrat et Voisin-Delacroix utilisent l’homme, l’animal et la nature dans leurs compositions. Ils se distinguent de nombre de leurs collègues par leur volonté de conférer à un simple vase un sens, un symbole, une idée métaphysique comme en témoignent les vases et vide-poche ornés d’animaux, de scènes parfois macabres. Le duo d’artiste prend fin prématurément en 1893 à la mort de Voisin-Delacroix mais Dalpayrat continuera de produire les formes imaginées par son ami.
La production de grès artistiques, adulés par la critique, atteint son apogée à la fin des années 1890. Le critique d’art Louis de Fourcaud loue la beauté des œuvres exposées au Salon chaque année dans la Revue des arts décoratifs :
« M. Dalpayrat et Mme Lesbros ont exposé ensemble des pots, des vases, des cruches où de beaux bleus et de beaux violets forment, avec un rouge de rare intensité, comme les effilés d’inégales franges ou comme des jaspures où les vives couleurs se sont mutuellement et splendidement éclaboussées ! »
Nous connaissons deux encriers similaires conservés au Musée des Beaux-Arts in Besançon, ainsi qu’un troisième dans l’importante collection de Peter Marino.