Vase coloquinte strié par Dalpayrat (1844-1910)
Bibliographie comparative :
Etienne Tornier, Adrien Dalpayrat, the Peter Marino collection, 2020, éditions Phaidon, n°149, p.220
D’une forme très organique, notre vase présente un bel émail rouge sang de bœuf, vert et ocre ains qu’un décor de « côtes ». Au début des années 1890 Dalpayrat s’associe au sculpteur Alphonse Voisin-Delacroix. Le céramiste met au point ses célèbres couvertes flammées et le sculpteur crée de toutes nouvelles formes de vases largement inspirées de la nature et notamment des formes originales des coloquintes ou cucurbitacés.
C’est aussi à cette époque que Dalpayrat abandonne l’appellation de « peintre sur porcelaine » et commence à se définir comme « céramiste » ou « artiste-céramiste ». Il se consacre principalement au grès, un matériau vénéré non seulement pour ses associations japonaises, mais aussi pour son association avec les ustensiles traditionnels français. Son intérêt soudain pour ce matériau pourrait bien avoir été inspiré par les succès très médiatisés d’Ernest Chaplet et d’Auguste Delaherche à l’Exposition universelle de Paris de 1889.
À l’instar des peintres et sculpteurs symbolistes, Dalpayrat utilise l’homme, l’animal et la nature dans ses compositions. Il se distinguent de nombre de ses collègues par sa volonté de conférer à un simple vase un sens, un symbole, une idée métaphysique comme en témoignent les vases et vide-poche ornés d’animaux, de motifs végétaux. Dalpayrat est ainsi fasciné par les formes organiques, l’effet du temps sur les êtres et les choses vivants. Ces conséquences physiques deviennent sa préoccupation esthétique, qu’il s’agisse de la forme comme de la surface des objets qu’il conçoit. Il s’agit de sublimer les fruits de la nature, de montrer leur beauté intrinsèque en les figeant sous une glaçure sang-de-bœuf clairsemée de tâches jaunes, bleues, ou d’un gris anthracite. La glaçure, recouvrant la forme, avec ses coulures, ses accidents, ses contrastes, forment le décor du vase.
L’émail rouge sang de boeuf est l’une des signatures de Pierre-Adrien Dalpayrat, à tel point qu’on le nomme souvent « rouge Dalpayrat ». Le céramiste, que son travail à la frontière de l’art nouveau et de ceux d’Extrême-Orient a rendu célèbre, pouvait se vanter d’avoir percé le mystère de cette fascinante couleur, maîtrisée depuis des siècles par les Chinois. Il réussit en effet à obtenir cette teinte et ces effets flammés sur un grès pourtant très résistant, grâce à l’oxydation du cuivre ainsi qu’à une maîtrise parfaite de l’atmosphère et de la durée de cuisson. Au-delà du rouge apparaissent des nuances de vert ou de gris de plomb, qui offrent de la profondeur à la pièce. Cette invention sera plusieurs fois saluée, notamment aux Expositions universelles et au Salon de la Société nationale des beaux-arts, mais aussi à la galerie Georges Petit.
La production de grès artistiques, adulés par la critique, atteint son apogée à la fin des années 1890. Le critique d’art Louis de Fourcaud loue la beauté des œuvres exposées au Salon chaque année dans la Revue des arts décoratifs :
« M. Dalpayrat et Mme Lesbros ont exposé ensemble des pots, des vases, des cruches où de beaux bleus et de beaux violets forment, avec un rouge de rare intensité, comme les effilés d’inégales franges ou comme des jaspures où les vives couleurs se sont mutuellement et splendidement éclaboussées ! »
On retrouve ce travail des décors « côtelés » ou « coloquintes » dans plusieurs vases importants, conservés notamment au musée des Arts décoratifs, au musée du Petit Palais ou dans la collection Peter Marino.