Le Silence par Auguste Préault (1809-1879)
« Qu’est-ce que cette figure à l’âge douteux, au sexe incertain ? Est-ce la Mort, la Parque qui coupe le fil de la vie, une des Mères qui, dans les profondeurs de l’Hadès, gardent les germes des créations futures ? (…) Vers quel horizon invisible flotte ce regard vide ; quel rêve ou quelle pensée hante ce front somnolent ? (…) On ne sait ; mais cette tête impassible, sinistre et mystérieuse produit l’effet de la Mort même ; elle épouvante, glace et stupéfie ». Ces mots, rédigés par Théophile Gautier au moment où Auguste Préault dévoile le Silence au Salon de 1849, témoignent du retentissement que provoqua cette œuvre. Aussitôt promue icône du Romantisme, elle incarne la modernité artistique du milieu du XIXe. « Le mouvement romantique a été représenté dans la poésie par Victor Hugo, en peinture par Delacroix, en musique par Berlioz ; Auguste Préault le transporta dans la sculpture. »
Enserré dans un linceul, le visage se présente tel un masque mélancolique et tragique. Une main dépasse de l’étoffe pour poser un doigt sur les lèvres, il commande le silence et le secret, le respect des défunts et le mystère de l’au-delà. Un jeu d’ombres et de lumière vient savamment ajouter une nuance dramatique. Cette œuvre fut commandée à Préault en 1842 pour la tombe de Jacob Roblès au cimetière parisien du Père-Lachaise. Préault aurait connu la famille Roblès par l’intermédiaire de son ami le poète Alphonse de Lamartine; un dessin préparatoire est conservé au musée des beaux-arts de Rouen.
Présenté sous le titre « Masque funéraire », le Silence devient au Salon une œuvre en soi qui cultive le mystère de sa signification. Décrit en 1843 comme une « Sybille de la mort » par Charles Alexandre- qui avait perçu l’inspiration michélangélesque commune à Préault et à Füssli (cf. fig. 10 et 11) -, le Silence est une œuvre qui impressionne les visiteurs et assoit enfin la renommée de Préault.
Pour répondre à l’engouement des collectionneurs, Préault exécute deux bronzes supplémentaires, aujourd’hui conservés dans des musées, et tire une dizaine d’épreuves en plâtre. Sur les onze plâtres répertoriés dans le catalogue raisonné de l’artiste, neuf d’entre eux sont désormais conservés dans des musées. Seuls deux restent en mains privées : celui que nous présentons, et un autre qui n’a pas été localisé.